J.L. Jouve, Y. Glard, S. Parratte
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ne varient pas entre les premiers stades du dé-
veloppement fœtal et le stade adulte. Ceci plai-
de en faveur d’un déterminisme génétique de la
forme de la trochlée fémorale. Malgré leur lien
fonctionnel évident, l’obliquité fémorale et la
trochlée fémorale ne se développeraient donc
pas selon le même processus ontogénétique,
puisque l’obliquité fémorale est déterminée par
les contraintes mécaniques liées à la bipédie
alors que la trochlée fémorale fœtale semble
génétiquement déterminée.
Un autre argument en faveur du déterminisme
génétique de la forme de la trochlée fémorale
est donné par l’étude des formes familiales de
luxation récidivante de la rotule. Les facteurs
de stabilité de la rotule sont de 3 types : osseux,
musculaires et capsulo-ligamentaires. Parmi
les facteurs osseux, la dysplasie trochléenne est
de loin le facteur le plus fréquent pouvant être
la cause d’une instabilité rotulienne. L’origine
génétique de la dysplasie trochléenne avait déjà
été évoquée par Dejour et Walch [5] devant la
fréquence des atteintes mère-fille ou frère-sœur
et la bilatéralité constante de cette anomalie.
D’un point de vue anthropologique, on peut re-
mettre l’ensemble de ces constatations dans
une perspective darwinienne : en se mettant de-
bout, l’homme impose à ses fémurs une
contrainte mécanique qui les rend obliques.
Une trochlée fémorale asymétrique confère un
avantage sélectif aux individus qui la possèdent
en luttant efficacement contre la luxation laté-
rale de la rotule. Cette trochlée asymétrique a
donc été sélectionnée et s’est imposée au cours
des générations. C’est pourquoi on la retrouve
chez l’homme moderne dès les stades fœtaux
les plus précoces, comme un témoin de son dé-
terminisme génétique [6].
Cependant, une telle forme de déterminisme
génétique semble être l’apanage d’éléments
anatomiques importants dans l’acquisition
d’une fonction bipède. Dans un autre travail,
nous avons effectué une biométrie de l’extré-
mité supérieure des mêmes pièces fémorales
afin de déterminer l’antéversion et l’angle cer-
vico-diaphysaire [7]. Les résultats sont radica-
lement différents que pour le fémur distal
puisqu’ils mettent en évidence une modifica-
tion régulière de la morphologie fémorale au
cours du développement fœtal. Concernant
l’angle cervico-diaphysaire, on note une dimi-
nution progressive de la valgisation fémorale
tout au long de la vie fœtale et qui se continue
après la naissance [8]. En revanche, l’antéver-
sion fémorale augmente progressivement du-
rant la vie fœtale pour atteindre un maximum
lors de la naissance puis diminuer à nouveau
jusque vers l’âge de 7 ans.
Il semble donc, à la lumière de ces travaux, que
certains éléments de l’anatomie fœtale soient
soumis à des contraintes mécaniques prédomi-
nantes sur le déterminisme génétique. Ainsi,
leur morphologie est dictée par l’importance de
ces contraintes. C’est le cas de l’antéversion
fémorale dont l’augmentation progressive
in
utero
pourrait s’expliquer par la mise en flexion
plus importante des hanches au cours de la
grossesse puis la mise en extension de celles-ci
après l’accouchement. Cette hypothèse avait
été formulée en ces termes dès 1912 par Le
Damany [9] et semble se confirmer à l’occasion
de nos travaux. En revanche, d’autres éléments
ont une morphologie fixée génétiquement dès
les premiers stades de la vie fœtale. Ils ne va-
rient pas sauf pathologie particulière (neurolo-
gique, chromosomique). C’est le cas de la tro-
chlée dont la profondeur est l’élément clef de la
bipédie permanente. Cette condition va plaider
en faveur d’une réparation chirurgicale précoce
du défaut de trochlée notamment les trochlées
plates. En revanche, des défauts d’antéversion
fémorale susceptibles de correction durant l’en-
fance avec le temps et donc doivent faire consi-
dérer toute chirurgie réparatrice avec réserve.