F. Gadea et coll.
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des activités. Tout se passe comme si l’isociné-
tisme était un catalyseur de la rééducation per-
mettant de relancer le processus de renforce-
ment musculaire. Par sa capacité à travailler en
zone infra-douloureuse, l’isocinétisme casse le
cercle vicieux
“douleur-déficit musculaire”
et
restaure un environnement musculaire compa-
tible avec la réalisation d’exercices plus classi-
ques. En revanche, il ressort clairement de no-
tre étude que l’isocinétisme ne permet pas à lui
seul de traiter un syndrome rotulien douloureux
fonctionnel. Cela tient probablement au carac-
tère imprévisible de la récupération musculaire
après rupture puis reconstruction du LCA fai-
sant intervenir des paramètres aussi divers que
des processus neurophysiologiques réflexes
d’inhibition musculaire [20], de cicatrisation
des sites de prélèvement [21], ou encore de co-
contraction quadriceps-ischiojambiers [22].
Ces résultats nous conduisent à émettre une
deuxième hypothèse sur le rôle délétère joué
par les douleurs antérieures dans l’entretien du
déficit musculaire. L’apparition d’un syndrome
rotulien fonctionnel entraîne non seulement
une stagnation dans la récupération musculaire
mais aussi, du fait de la douleur, une sous-utili-
sation du membre responsable qui aggrave le
déficit. Dans cette hypothèse, le recours rapide
à l’isocinétisme dans les douleurs antérieures
invalidantes résistantes, ou s’aggravant avec la
rééducation classique, nous apparaît comme
une priorité.
Même si le coefficient de corrélation est assez
faible, l’analyse des courbes entre l’IKDC au
dernier recul et le temps montre une corrélation
positive significative entre les deux paramètres.
Une analyse monofactorielle simpliste pourrait
conduire à relativiser les effets de la rééduca-
tion isocinétique car, en corrélant le niveau de
récupération fonctionnelle à la durée du recul,
nos résultats laissent à penser que l’introduc-
tion de l’isocinétisme n’accélère pas la régres-
sion des douleurs antérieures après reconstruc-
tion du LCA. Cette analyse nous semble erro-
née car il faut toujours garder à l’esprit que
l’origine des douleurs antérieures après liga-
mentoplastie est mixte et très hétérogène. On
dénombre notamment des douleurs tendineuses
et osseuses secondaires au prélèvement, des
douleurs sur le tunnel tibial, des douleurs neu-
ropathiques sur des lésions des branches du
nerf saphène, des douleurs dans le cadre du
“cyclop syndrome” passés inaperçus et un syn-
drome douloureux régional complexe le plus
souvent associé à une patella baja [23]. Chacune
de ces causes a sa propre évolution et interfère
de manière directe sur la chronologie du syn-
drome douloureux. L’absence de prise en char-
ge spécifique ou tout simplement l’évolution
naturelle de ces étiologies sont probablement
des biais qui conduisent à une sous-évaluation
de l’efficacité de l’isocinétisme. Dans l’avenir,
la comparaison au sein d’une population iden-
tique – des délais de récupération entre 2 proto-
coles de rééducation, classique versus isociné-
tisme, devrait nous permettre de confirmer
cette hypothèse.
A l’heure actuelle, il n’existe pas de certitude
sur le délai minimum à partir duquel la liga-
mentisation et l’évolution histologique des an-
crages autorisent la pratique d’exercices isoci-
nétiques. L’isocinétisme est un modèle de réé-
ducation en chaîne cinétique ouverte. Or l’uti-
lisation du principe de la chaîne ouverte après
reconstruction du LCA est discutée. Le risque
apparaît double, avec sur le plan mécanique la
faillite de la greffe par défaut de maturation qui
présente un risque de laxité antéropostérieure
[24, 25], et sur le plan fonctionnel le risque de
décompensation d’un syndrome rotulien par
mise en charge de la fémoro-patellaire [26, 27].
En se basant sur les travaux d’Amiel [28], nous
restons prudents et ne préconisons pas l’utilisa-
tion de l’isocinétisme avant 4,5 mois révolus.
En ce qui concerne la surcharge fémoropatel-
laire, la maîtrise de la vitesse et l’asservisse-
ment de la résistance confèrent à l’isocinétisme
un avantage considérable par rapport aux pro-
tocoles de rééducation classiques en permettant
un renforcement dans des conditions infra dou-
loureuses [13].
Une des données majeures de notre étude est le
taux de cyclop syndrome opéré qui avec 6 cas
soit 12,5 % de la série, est bien supérieur à ce-
lui retrouvé dans la littérature (3 %) [29]. Par
définition, le cyclop syndrome est responsable
d’un flessum irréductible ce qui en fait un mo-